Cette passionnée de ranchera a créé le premier ensemble français de cette musique traditionnelle mexicaine composé exclusivement de femmes... et résolument engagées.
Comme souvent au Mexique, tout a commencé au son des guitares et des trompettes, des violons et de la vihuela, sans oublier le profond guitarrón. Nous sommes en 1998, État du Chihuahua (Nord) : Alicia Leos n’a pas encore 20 ans quand elle écoute pour la première fois la célèbre version par Pedro Fernandez de la chanson l’Aventurier, un grand classique du mariachi. Le rythme est endiablé, les paroles aussi excentriques qu’impayables : d’une pointe à l’autre du pays, de Cancún à Tijuana, difficile de résister à l’entraînante allégresse que provoque cette chanson à la gloire d’un sympathique bon vivant, chaleureux troubadour et bohème, qui sait conquérir les cœurs des femmes comme personne. « À l’époque, je n’avais pas encore conscience d’être féministe, mais je sentais bien que quelque chose clochait », explique-t-elle.
Il lui faudra un peu de temps pour se rendre compte que, derrière des sous-entendus polissons, se cachent en réalité des propos ultra-machistes, « un maillon de plus dans cette chaîne de normalisation du harcèlement des femmes ». Comme dans nombre de pays latino-américains, le Mexique voit en effet la violence du patriarcat se répandre jusque dans les chansons les plus populaires d’une musique traditionnelle qui fait pourtant sa fierté, reconnue patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco.
Le premier mariachi 100 % féminin de toute l’histoire de France
Les années passent, Alicia termine ses études en France, où elle s’installe, sans se laisser convaincre par le monde de l’entreprise. Comme elle est issue d’une famille d’artistes, la pandémie de 2020 sera l’élément déclencheur. Le moment est venu pour elle de retrouver sa passion première, le chant, et de lancer le projet qu’elle rumine depuis bientôt dix ans : fonder un groupe de mariachi composé exclusivement de femmes. Alilée, de son nom de scène, crée une association ayant pour but de produire ce projet artistique : « Ce fut la naissance d’Arrieras Somos, le premier mariachi 100 % féminin de toute l’histoire de France », sourit-elle.
Féminin, mais surtout féministe car, dans cet univers sexiste où le costume de « charro » est plus souvent porté par des hommes, Alicia entend mettre en avant sa touche militante. « Notre groupe a une perspective de genre, il est résolument engagé et féministe, la sororité est au cœur de notre travail », assure-t-elle.
Plus qu’une touche, cet engagement est en réalité une marque de fabrique que l’on retrouve derrière chaque note musicale. Les chansons misogynes ou qui attentent à la dignité des femmes sont laissées de côté, d’autres sont carrément réécrites au goût du jour.
« S’approprier cette musique traditionnelle n’est pas seulement une question de justice et d’équité »
Sous sa plume, l’Aventurier de Pedro Fernandez qui menaçait les mères de voler leurs filles devient l’Aventu-Arriera, une camarade aussi humaniste que valeureuse qui sait s’ériger contre les injustices et promet un mauvais quart d’heure au patriarcat. « Malgré leur contribution qui date maintenant de plus d’un demi-siècle, les pionnières du mariachi n’ont pas toujours reçu la visibilité et la reconnaissance qu’elles méritaient, rappelle Alicia. S’approprier cette musique traditionnelle n’est pas seulement une question de justice et d’équité, mais aussi d’enrichissement culturel et artistique, en promouvant la diversité et en cassant les barrières discriminatoires. »
Depuis 2020, l’ensemble constitué de dix musiciennes originaires de France et de divers pays d’Amérique latine multiplie les concerts et représentations. Les Arrieras Somos participent dès 2021, ainsi qu’en 2022 aux Rencontres internationales de la femme mariachi qui se tiennent dans l’État de Jalisco, le berceau de cette musique. L’année suivante, Alicia organise à Paris le premier Festival de la femme mariachi en Europe, un pari fou devenu un réel succès avec la venue de deux ensembles du Mexique et un troisième en provenance de Los Angeles, sans parler du public parisien entièrement conquis.