Elle est disque d’or dans six pays. Ses trois albums se sont vendus à des centaines de milliers d’exemplaires et ses concerts se jouent à guichets fermés partout dans le monde. Son nom de scène, Imany, elle l’a choisi en référence à la princesse insoumise d'« Un prince à New York ». Ironie de la vie, cela veut aussi dire « ma foi », « mon espoir » en swahili, langue officielle du Kenya. Cela colle si bien à cette passeuse d’émotions. Elle nous parle de ses colères, de ses inspirations et de ses combats.
Pour ce rendez-vous, elle a choisi un lieu à son image : les emblématiques Magasins généraux, sur les rives du canal de l’Ourcq à Pantin, reconvertis en espace culturel. On s’installe confortablement sur un divan au bord de l’eau autour d’une déco bigarrée et décontractée.
Imany, alias Nadia Mladjao, sourit. Elle a de quoi. Après le triomphe de ses deux premiers albums (double platine et platine), le troisième, superbe et puissant « Voodoo Cello », emprunte le même chemin. Depuis quinze ans, le timbre chaud et envoûtant de la chanteuse, auteure, compositrice et interprète séduit le public du monde entier. Femme engagée, elle donne aussi de la voix et de sa personne pour les causes qu’elle défend.
Votre troisième album, « Voodoo Cello », est sorti fin 2021. Vous avez enchaîné, comme à votre habitude, avec une tournée en France et au-delà. Comment allez-vous ?
Je vais bien ! L’album a été particulier pour moi. Cette histoire d’octuor, de reprises de chanson, j’avais envie de la vivre depuis une bonne dizaine d’années. Je suis passée entre-temps par un burn-out physique, émotionnel. En 2015, durant ma première grossesse, j’ai été sur les routes jusqu’au 7e mois. Une cadence industrielle !
J’étais devenue un zombie, incapable de réfléchir. J’ai pensé arrêter. L’arrivée de mon deuxième enfant m’a offert une autre source d’énergie, d’inspiration, de bonheur. Je me suis enfin reposée. Le projet de « Voodoo Cello » m’a évité de sombrer. Il m’a ramenée à la vie artistique. La tournée est devenue un véritable rituel de guérison qui m’a réconcilié avec le métier.
Cet album, c’est un ovni musical : votre voix, seule, habillée de huit violoncelles, sans trucage. Une reprise de chansons que vous aimez, très diverses, de « Like a Prayer » de Madonna à « Wild World » de Cat Stevens (adapté en comorien). Il vous a été facile de convaincre ?
Je suis dans un label indépendant depuis le début, ce qui me laisse plus de liberté. Je fais selon mes propres envies et j’accepte que peut-être, de manière commerciale, le projet ne se solde pas forcément par un succès. L’important, c’est d’être aligné avec soi-même.
Même si certains doutaient, tout le monde aimait le concept, mais personne ne pensait que la tournée allait faire autant de dates. Sur scène, il y a une proposition artistique claire. Les musiciens jouent debout, bougent, dansent. Nous nous sommes dépassés. Et toutes les salles de la tournée ont affiché complet.
Comment avez-vous choisi les musiciens ?
J’ai réalisé des auditions de 80 musiciens par groupe de huit. Tout était déjà arrangé, écrit. C’était très intuitif. Je les ai fait jouer et j’ai chanté avec eux. Chaque violoncelle avait son utilité : basse, batterie… À la fin, je demandais aux musiciens de se lever et de jouer – une vraie déconstruction de la musique classique – pour voir qui était à l’aise avec le concept.
Parmi vos choix de chansons, une retient particulièrement l’attention. La seule que vous chantez en français. « Les Voleurs d’eau » d’Henri Salvador. Une chanson méconnue, qui traite pourtant de grandes thématiques…
C’est un titre que je voulais interpréter depuis très longtemps. Si l’album donne une deuxième vie à des chansons, il permet aussi de découvrir des titres méconnus. « Les Voleurs d’eau » aborde le colonialisme, le capitalisme, l’exploitation de la nature, celle des femmes.
Mais la chanson parle aussi de solidarité, de résistance et de résilience. Musicalement, c’est hypnotique, cela nous transcende pour ce bien commun qu’est l’eau. Il fallait le chanter en français. Sur scène, avec les musiciens, nous formons une sorte de radeau de la Méduse. Même à l’étranger, le message passe. Il est universel.
Vos parents sont arrivés des Comores dans l’espoir de donner une vie meilleure à leurs enfants. La France, le pays des droits de l’homme… ils ont déchanté ?
L’archipel était à l’époque colonisé. Mon père est entré dans l’armée française, d’abord aux Comores. En plus de faire partie de la minorité visible, il a commencé en bas de l’échelle. Être français ne l’a pas empêché d’être confronté au racisme. Au début, il était plein d’idéaux et me disait : « Tu verras ma fille, ici tu seras libre, tu auras la possibilité de faire ce que tu souhaites. » En vieillissant, son regard a changé. Il a ouvert les yeux sur une réalité qui ne correspondait pas à sa naïveté. À la retraite, il est retourné vivre aux Comores.
Une nouvelle loi immigration – plus répressive – a été votée récemment. Comment la jugez-vous ?
Ce qui est pratique avec l’immigré, c’est qu’il représente le bouc émissaire idéal. Précaire, empêtré dans des problèmes économiques, sociaux, linguistiques, il ne peut pas se défendre, encore moins se révolter. C’est toujours facile de taper sur le plus faible. Nous vivons dans un système de plus en plus gourmand en perversion. Le capitalisme nous veut complètement aveuglés, écrasés par le travail, la consommation.
« Le capitalisme nous veut complètement aveuglés, écrasés par le travail, la consommation. »
Imany
Plutôt que de mettre le doigt sur les vrais problèmes, il est plus simple de faire diversion. L’immigré, on peut tout lui mettre sur le dos : la violence, la misère. Le souci, ce n’est jamais parce qu’on coupe les budgets dans l’éducation ou la santé. Parce que des enfants se retrouvent à 40 par classe. Parce que, quand vous êtes âgé et que vous devez vous soigner, il n’y a pas de médecin dans le village.
Cette loi a pu être votée aussi faute de forces suffisantes pour la contrer. Le pays est allé tellement à droite… Mais comme la Terre est ronde, nous allons bien finir par rebondir à gauche ! En attendant, au niveau microscopique de notre vie, il faut se demander comment changer le macroscopique et dans quelle mesure nous pouvons aider l’autre.
En 2017, aux Victoires de la musique, vous poussez un vrai coup de gueule. « On se doit d’être les voix de ceux et celles qui n’en ont pas », dites-vous en réclamant justice pour Adama Traoré et Théo, tous deux victimes des violences policières…
J’ai profité du live pour intervenir. Quelques jours avant, il y avait eu l’affaire Théo. Les violences policières représentent un symptôme de notre société. Le travail de formation de la police, même sous les gouvernements de gauche, fait cruellement défaut.
Nadège Debaissy pour l'Humanité