Aujourd’hui, l’union scellée sans son consentement et les violences psychologiques sont derrière cette jeune nigérienne qui a repris des études, tout en s’engageant contre une coutume patriarcale qui pèse sur une grande partie des adolescentes.
« Pour devenir autonome et libre, il faut être instruite et avoir un métier. » Ce n’est pas une réflexion en l’air mais sa marche à suivre, sa perspective. Sa devise pour exister. Leyla Gouzayé revient de loin. À à peine vingt ans, cette Nigérienne porte toujours sur son visage, dans son regard les stigmates d’une vie amère. Il lui a fallu du temps pour se débarrasser du statut de victime, au fil des rencontres qui lui ont permis de se forger une mentalité de battante.
Aujourd’hui, son mariage forcé, les violences psychologiques à son encontre semblent derrière elle. Seules comptent désormais la réussite de ses études, la fierté d’annoncer son passage en troisième dans un établissement de la deuxième chance et sa place de troisième bonne élève de la classe. Une gageure pour cette jeune femme qui a dû abandonner sa scolarité cinq années durant. « Dès que l’on m’a mariée, c’en était fini de l’école », murmure-t-elle.
« Mon oncle est venu informer maman de mes futures noces. Elle n’était pas d’accord. Ni mon père, qui ne pouvait pas contester la décision de son frère aîné. Je savais que si je refusais, ma mère subirait la foudre de la famille côté paternel. » Elle avait quatorze ans. C’était une enfant. On l’a forcée à devenir trop tôt une femme. Une femme bafouée, oppressée. Une femme répudiée.
« Je sais maintenant que l’on a le droit de dire non »
L’époux d’alors, vingt-cinq ans, se lasse vite de cette effrontée, qu’il jette hors du foyer conjugal, enceinte de quelques mois. Loin de sa famille, loin de sa région natale, Leyla est recueillie par une voisine qui prend soin d’elle avant la naissance du petit Salim. La gamine, mariée contre son gré, se transforme en fille-mère malgré elle. À l’âge de quinze ans. « Je n’éprouvais que de l’amertume et du dégoût pour cette période de ma vie. J’en voulais à la société entière de fermer les yeux sur mon malheur. »
Petit à petit, la jeune femme se ressaisit, trouve les moyens de se rendre à Niamey, la capitale du Niger, où habite sa grand-mère maternelle. C’est là, à plus de 1 000 km de son ex-mari, qu’elle commence une nouvelle vie. « Je me souviendrai longtemps du jour où, en pénétrant chez grand-mère, une voisine a chamboulé ma vie. » Celle-ci, embauchée comme animatrice par l’association Lafia Matassa, laquelle collabore avec le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), était chargée de faire du porte-à-porte dans le quartier populaire de Talladjé, à Niamey, en quête d’adolescentes à sensibiliser contre les mariages des enfants et pour une autonomisation par le biais de l’alphabétisation (voir encadré).
« J’ai immédiatement saisi l’occasion. Et, durant huit mois, j’ai participé aux séances. Je sais maintenant que l’on peut cesser ces violences, que l’on a le droit de dire non. » Et voilà Leyla vent debout contre les mariages non désirés et précoces. « J’ai pu, en quelques mois, convaincre une quinzaine de personnes d’assister, elles aussi, au programme de sensibilisation. Il m’arrive également de signaler des cas de mariage forcé à l’animatrice, qui se dépêche de contacter les victimes », sourit-elle, assise sur une chaise à côté du lit que ne quitte guère sa grand-mère centenaire. L’habitation en argile abrite une cour dans laquelle on cuisine, on lave et on étend le linge.
C’est aussi là que Leyla révise ses devoirs quand elle ne joue pas avec son enfant. Les études, elle en rêvait. « Or, ma grand-mère n’avait pas les moyens de me les payer. Je voulais tellement reprendre mes années perdues à cause du mariage… Faut croire que la chance était avec moi. » Car, un jour, lors des cours d’alphabétisation, Leyla se fait remarquer par Monique Clesca, la représentante de l’UNFPA au Niger, alors en visite au centre de l’association. « Elle m’a dit : “Toi qui as un très bon niveau, pourquoi tu ne vas pas à l’école ?” Je lui ai parlé des difficultés financières.
Et, c’est ainsi que je me suis retrouvée, avec quatre autres filles, scolarisée dans une école de la deuxième chance. Monique Clesca a pris en charge les frais. » Toujours assise à côté de sa grand-mère, en cette veille de l’Aïd, Leyla ne cesse d’admirer ses pieds colorés au henné. Il lui reste à tresser ses cheveux pour être la plus belle lors de la fête religieuse qui signale la fin d’un mois de jeûne. C’est l’été, l’école est finie. Mais la jeune maman continue assidûment ses porte-à-porte dans le voisinage : « Je veux inciter les jeunes à ne pas lâcher les études, ou à prendre des cours d’alphabétisation. Je leur parle de mon cas, de mon épanouissement depuis que je suis retournée à l’école ».
Endosser l’habit de sage-femme n’est plus un rêve pour elle. C’est un but qu’elle est maintenant sûre d’atteindre. « J’ai toujours voulu faire ce métier, je veux aider les femmes, surtout dans notre pays où le taux de mortalité maternelle et infantile est impressionnant. » Après, bien après, précise-t-elle, « je me marierai avec un homme que j’aimerai et qui m’aimera ». Un mariage forcément d’amour, une union consentie. Car, affirme Leyla, « plus personne ne m’imposera qui que ce soit, quoi que ce soit ».
Une éducation pour les droits des femmes Plus de 10 000 Nigériennes, de 10 à 19 ans, souvent analphabètes, ont suivi, cette année, le programme d’éducation populaire consistant à connaître leurs droits et devenir des êtres affranchis des normes sociales. C’est le Fonds des Nations unies pour la population, en collaboration avec le ministère de la Promotion des femmes et l’association Lafia Matassa, qui est à l’origine de cette initiative intitulée « La dignité par le savoir ». Elle devrait s’étendre à 250 000 adolescentes d’ici 2018. Ce qui représentera 1/8 des jeunes femmes du Niger.Elles et les combats d'aujourd'huiMina KaciLundi, 17 Août, 2015L'Humanité