Dans son tube, écrit en 1985 avec la complicité de Richard Seff, le chanteur toulousain raconte la galère d’une jeune femme qui cherche dans un bar miteux l’homme qui l’aidera à émigrer. Un texte en adéquation avec l’époque.
« Au Macumba, elle danse tous les soirs, pour les dockers du port qui ne pensent qu’à boire », chantait Jean-Pierre Mader en 1985. Le morceau est resté vingt-trois semaines au Top 50. Tout le monde à l’époque a dansé dessus. Et pourtant, cette chanson raconte une histoire triste, celle d’une jeune femme qui émigre et se retrouve coincée dans un bar malfamé. De l’héroïne de Macumba, on ne connaît pas grand-chose, si ce n’est qu’elle « offre son corps contre quelques dollars ». Seul lien tangible de sa solitude, dans cette atmosphère poisseuse, on sait « qu’elle a quitté son île (…) dans les cales d’un cargo », ivre de rêves d’une vie meilleure, « loin des bidonvilles ».
Joint par téléphone, le chanteur Jean-Pierre Mader est enchanté de témoigner sur la genèse de ce tube. La ritournelle est née d’une séance de cinéma avec son ami et complice Richard Seff. « Nous sortions de la projection d’un film avec Ava Gardner qui s’appelle l’Île au complot (de Robert Z. Leonard, sorti en 1949 - NDLR). Elle, elle chante dans un cabaret, un type la regarde, elle part avec lui. Ava Gardner est sublimissime. Et nous avons pensé à toutes ces jeunes femmes, perdues dans un ailleurs, qui cherchent un bon ticket, vers l’Europe peut-être, vers un autre soleil en tout cas », raconte le chanteur.
Le Front national monte, inexorablement
La chanson sort dans un contexte politique particulier : au mitan des années 1980, la gauche est au pouvoir, mais le Front national monte, inexorablement. La réaction, en face, c’est « Touche pas à mon pote », le mouvement antiraciste initié par SOS Racisme. « La montée du FN, pour moi qui suis fils d’ouvriers, c’était un truc fou. Je suis né en 1955, et comme beaucoup de Français ou de jeunes de ma génération, je n’avais aucune idée d’où venaient les gens, ni quelle religion ils pratiquaient. C’était vraiment quelque chose de très secondaire. Et au début des années 1980, il y a eu cette espèce de sonnette d’alarme, cette lumière rouge qui nous a rappe lés à l’ordre. »
« J’aimais raconter des choses un peu graves, noires, nostalgiques, maussades, sur des musiques très dansantes. » Jean-Pierre Mader
Le titre est conçu comme une bande dessinée en chanson. « Dans les années 1980, il y avait toujours dans les textes un côté un peu scénaristique. Comme dans l’Aventurier d’Indochine », rappelle le chanteur. Et, à l’instar des groupes new wave venus d’outre-Manche, « comme Depeche Mode, New Order… j’aimais raconter des choses un peu graves, noires, nostalgiques, maussades, sur des musiques très dansantes ». Dans ce « tripot un peu gluant, glauque, je voyais aussi Fassbinder. Je suis un enfant des années 1980, j’étais complètement immergé dans cet esthétisme », confie Jean-Pierre Mader.
Un vent de liberté souffle sur la musique
Sans doute que cette manière de découper les chansons façon story-board n’est pas étrangère à l’amour du musicien pour le cinéma. Car, avant Macumba, il y avait eu Disparue, des mêmes Seff et Mader, sortie fin 1984… 36 ans de torture des méninges plus tard, Jean-Pierre Mader, riant au téléphone, nous livre son mystère. La chanson est née de la même façon que Macumba : d’une séance de cinéma ( Missing, de Costa-Gavras, qui narre l’enlèvement d’un journaliste dans le Chili de Pinochet).
Ce que racontent ses chansons, c’est aussi une période bénie pour les musiciens, se remémore Mader : « À Toulouse, dont je suis originaire, il y avait plein de petits studios indépendants. On était un peu le Liverpool français. On avait envie de faire chanter les radios, et surtout les radios libres », alors en plein essor. « Il y avait une vraie liberté qui soufflait à ce moment-là. Nous étions indépendants, nous produisions nous-mêmes nos chansons, ça ne coûtait pas très cher, avec les premiers home studios », explique le chanteur. Qui a fait ses premières armes « dans les campagnes. J’avais un petit orchestre dont le chanteur était Francis Cabrel. C’était vraiment génial de pouvoir partir le week-end avec des copains, jouer tout ce qui passait à la radio. Ça a été mon conservatoire, quelque part. Et puis, dix ans après, j’ai eu la chance de pouvoir faire ma propre musique »... Sans cette liberté, et sans cinéma, pas de Macumba…