Qu’il soit l’amant de Vérone, le petit charpentier de Casque d’Or ou le garde-chasse du Prince Salina, véritable voix du peuple dans le Guépard de Visconti, Serge Reggiani était de cette équipée franchement populaire au milieu du show-biz naissant des années 1950.
Serge Reggiani, le cœur rouge et la voix grave (03/05/2025)
Acteur, chanteur, comédien, lecteur vorace… Serge Reggiani aurait eu 103 ans ce 2 mai. Retour sur la trajectoire d’un homme qui avait « cassé la baraque » en pleine période « Yé-yé ».
Une enfance gâchée par le fascisme
Né à Reggio Emilia, au cœur de l’Italie mussolinienne, le petit Sergio est marqué par le quotidien de labeur des ouvriers et des paysans, de ceux qui votent rouge. Dans cette capitale de l’une des plus riches régions du pays, Ferruccio, son père, est coiffeur. Sa mère, Letizia, garde « d’insupportables bébés de riches » comme il l’écrit dans ses Derniers courriers avant la nuit.
Confronté dès sa naissance aux « saloperies » de chemises noires, Reggiani évoque une « ville en noir et blanc comme les films du réalisme italien, comme les mémoires tronquées et les visions du lointain passé, comme l’affrontement des fascistes et des démocrates ».
À 8 ans, il s’en va rejoindre son père en France. Il avait fui les autorités fascistes. Direction Yvetot, en Normandie. Une période difficile qu’il raconte par ses souvenirs à l’école. Des premiers jours terribles, des bagarres, des injures, car il faisait partie de ces exilés. « Leur curiosité a été telle que je l’ai prise pour de l’agressivité, à tort », dira-t-il des années plus tard. Mais le petit Serge met les bouchées doubles. Lui, qui ne connaissait rien à la langue française à son arrivée, devient le premier de la classe au bout de trois mois.
Puis vient le déménagement vers Paris, les premiers pas dans l’Est populaire, forgé par les matchs de boxes à la sauvette et l’apprentissage du métier de coiffeur. En 1936, son père ouvre son échoppe rue du Faubourg Saint-Denis, Reggiani y fait ses heures avant de quitter l’école « bien trop jeune ».
Dans ce salon de coiffure, il voit régulièrement passer des amis de ses parents, Trachez, « un copain » qui, après l’invasion allemande, deviendra résistant et tombera sous les balles des nazis. Mais surtout, Bervini, surnommé le « Taureau ». Une masse physique. Un copain que ses parents avaient rencontré à Reggio Emilia, lui aussi résistant. Reggiani raconte le petit lien qu’il avait tissé avec le « Taureau » sur fond d’anecdote :
« Les fascistes l’avaient enfermé sur l’île de Lipari, où l’on bouclait tous les prisonniers politiques, et il s’en est tiré à la nage… Je l’ai revu à Paris, quelques années plus tard. Il est entré dans le salon de mes parents, avec une grande valise sous le bras. Il l’a posé sur une chaise, nous a regardés et a dit : “Sans culture, les gens ne peuvent se défendre !” Personne ne comprenait ce qu’il voulait dire, jusqu’au moment où il a ouvert sa valise. Elle était pleine de livres. C’est tout ce qu’il avait emporté avec lui, lorsqu’il avait fui l’Italie. Il m’a alors demandé “Qu’est-ce que tu veux lire en premier ?” J’ai pioché au hasard et je suis tombé sur Martin Eden de Jack London. J’aurais pu tomber plus mal. »
Pour gagner quelques sous, il s’essaie à la figuration, il tente de se faire un nom dans les cabarets.
Dans le « théâtre de nuit » d’Agnès Capri, une femme juive qui anime clandestinement son activité au cœur de la capitale occupée, il rencontre Mouloudji, alors simplement chargé de « tirer le rideau » ou encore Jacqueline Bouvier, future femme de Marcel Pagnol.
Après la Libération, on ne compte plus les grands rôles qu’il a joués au cinéma. Une gueule authentique et une éloquence surprenante qui plaît énormément. Il incarne régulièrement les « méchants », les « ordures ».
Un « citoyen qui s’engage »
Reggiani c’est aussi le combat, le combat pour une société plus juste. Il était associé aux « rouges » et se plaisait en robespierriste. L’un de ses fils, Simon, indique que « chaque matin, dans la boîte aux lettres, il y avait l’Unità, l’Organe central du Parti communiste italien » ; ce même Simon qui était adhérent des Jeunesses communistes.
Il incarne Robespierre dès 1962 dans Les jacobins (I Giacobini), une série de six épisodes de quatre-vingt-dix minutes, diffusée à l’heure de grande écoute sur la télévision italienne. C’est un grand succès populaire, un de ceux qui l’ont rendu célèbre dans son pays natal.
En 1978, il franchit un pas de plus dans son engagement politique. Il enregistre un double album consacré aux discours de Robespierre. « Une sorte de rêve » explique Daniel Pantchenko, auteur d’une biographie. Un premier 33 tours est consacré au discours « sur la nécessité de révoquer le décret sur le Marc d’Argent ». Ce décret daté du 29 octobre 1789 avait institué le suffrage censitaire à trois niveaux de contribution. Le second 33 tours traite lui de l’ultime intervention de Robespierre à la convention. Et quel discours ! Serge Reggiani y dénonce avec les mots de Robespierre la corruption généralisée. Pour ce peuple « souverain reconnu qu’on traite toujours en esclave », il offre sa voix, son cœur et sa force.
C’est sur Antenne 2, en octobre de cette année 1978, qu’il explique son choix :
« On connaît le sanguinaire, on connaît tout ce qui s’est passé hystériquement après, mais le personnage pur, enfin, l’Incorruptible, le vrai incorruptible, le seul d’ailleurs de l’époque, on ne le connaît pas et on n’en parle pas assez […] Il me semble que ces deux discours-là pourraient être dits à l’Assemblée aujourd’hui même. En changeant quelques mots et quelques noms. C’est extrêmement moderne ».
11:48 | Tags : serge regianni | Lien permanent | Commentaires (0)