Flavia Coelho : « Il n’y a qu’avec l’espoir qu’on peut changer les choses» (29/10/2019)
La chanteuse brésilienne Flavia Coelho, revient avec “DNA”. Un album très solaire où se mêlent bossa muffin, reggae, hip-hop, ambiances afro-caribéennes et thèmes engagés qui font écho à la situation politique au Brésil après l’arrivée au pouvoir du Président d’extrême-droite Jair Bolsonaro. Un répertoire conscient et porteur d’espoir qu’elle dévoilera le 29 octobre à la Cigale à Paris et en tournée partout en France à partir du 14 novembre.
Sourire rayonnant et énergie incroyable, la chanteuse brésilienne Flavia Coelho revient avec “DNA”. Un album très solaire enregistré entre Paris et le Var dans les studios du musicien Victor Vagh, son complice depuis ses débuts. Un disque dansant aux sonorités métissées et aux rythmes joyeux où se mélangent bossa muffin, cumbia, hip-hop, reggae, ambiances afro-caribéennes et cordes de l’Orchestre de chambre de Paris. Un album de résistance aussi, dont les chansons abordent les thèmes de la corruption, de l’homophobie ou du racisme, qui fait écho à la situation politique de son pays, le Brésil, après l’arrivée au pouvoir du Président d’extrême-droite Jair Bolsonaro.
“DNA” est votre 4ème album. Auriez-vous pu imaginer une telle aventure quand tout a commencé il y a dix ans ?
Flavia Coelho : Pas du tout. A l’époque, je ne pensais même pas que mon premier album allait paraître ! (rires). Dès qu’il est sorti du studio, je l’ai donné à mon père. Je voulais lui prouver que j’étais musicienne et que je savais faire de vrais albums. Au début, les maisons de disques ne voulaient pas de ma musique, qu’elles considéraient comme trop mélangée. C’est grâce aux journalistes, aux médias qui ont compris mon univers, que mon disque a pu sortir et permettre ma carrière.
Votre musique mêle tous les styles de la bossa muffin au reggae en passant par le hip-hop, l’électro ou les sonorités afro-caribéennes. Un métissage musical incroyable!
Flavia Coelho : Mais le monde est métissé, en tout cas celui que je fréquente. Quand je suis arrivée en France, il y a treize ans, la chanson était moins métissée. Aujourd’hui, on y trouve de la kora, des percussions d’Haïti, des sonorités africaines, de l’électro… la musique a évolué dans tous les styles. On ne peut pas empêcher le métissage. C’est pareil avec la musique qui s’enrichi de toutes les cultures. Moi, je suis de la génération où on écoutait des disques dans leur entier. Maintenant, dans les soirées, on passe des playlist de différents artistes…on fait en fonction de son humeur. Tout est beaucoup plus éclaté, plus riche aussi.
Vous êtes née au Brésil où vous vous êtes produite très tôt un peu partout. Qu’est-ce qui a vous poussé à devenir chanteuse?
Flavia Coelho : C’est ma mère qui m’a mis la graine ! (rire). Elle était maquilleuse-coiffeuse dans les cabarets pour les transformistes, les transgenres et les travestis au Brésil. J’ai fréquenté très jeune les milieux artistiques, maquillée en Madonna, en Michael Jackson. Au décès de ma mère, je suis allée chez mon père, qui était tout le contraire de ça, très sérieux. J’ai grandi dans une ambiance de paillettes, de danse, de musique, dès l’âge de 13 ans, j’ai eu des envies de voyages, de rencontres. Pour essayer de m’en sortir, je me suis dit “et si j’essayais d’être chanteuse?”. J’ai répondu à un casting alors que je ne connaissais rien à la musique. C’est comme ça que j’ai chanté des reprises de tous les styles dans une cinquantaine de groupes au Brésil.
Vous avez quitté votre pays à l’âge de 26 ans. Pourquoi avoir choisi Paris comme destination ?
Flavia Coelho : Parce que j’y étais venue une première fois en 2002 dans un groupe de carnaval pour un show au château de Versailles. Cela m’a permis de découvrir Paris. Ça été un coup de foudre. A l’époque, il y avait beaucoup de musiciens dans la rue et une vie nocturne beaucoup plus prononcée. Je découvrais des artistes de tous les horizons, la musique du monde, les cithares pakistanaises, les bouzoukis grecs, des instruments de Serbie, de Croatie, d’Afrique… J’étais éblouie. J’ai pensé que si un jour je devais faire un album, c’était là qu’il fallait que je vive, dans cette ville où sont passés les grands artistes que j’ai aimé : Chico Buarque, Gilberto Gil, Youssou N’Dour, Salif Keita, des écrivains comme Hemingway, des peintres. J’avais une soif d’apprendre. Au Brésil, j’allais dans une école qui n’était pas terrible. J’ai eu le goût de la lecture ici en lisant en français, avant de lire en portugais. C’est comme ça que j’ai appris à parler français et à comprendre les nuances de la langue.
C’est un album aux rythmes très dansant, où vous abordez des thèmes sombres parfois, comme la corruption ou la violence dans votre pays…
Flavia Coelho : Dans “Billy Django” j’évoque la corruption mais surtout dans “Cidade Perdida” où je parle de la ville de Rio où je suis née dans les années 1980. J’ai toujours entendu parler de corruption et de violence, de stigmatisation des minorités, là-bas. Avant il y avait la dictature, les soldats tuaient des gens dans les casernes. Ensuite, j’ai vécu les six ans de transition et maintenant, l’arrivée d’un président, dont je ne veux même pas prononcer le nom. Dans le monde, on a l’image du Brésil des années 1950 où la bossa nova appartenait à un périmètre de 3,5 kilomètres entre Copacabana et la plage d’Ipanema-Leblon. C’était le Rio des privilèges. Mais les brésiliens des quartiers avaient déjà des difficultés pour vivre dans les morros (les collines). Je n’ai jamais connu cette ville autrement. Là-bas les gens ont le sourire, mais en même temps, il y a une tristesse de voir la détresse des autres.
Vous étiez en train d’écrire votre album au moment où Bolsonaro est arrivé au pouvoir. Ces événements ont-ils eu une influence sur l’écriture de vos chansons?
Flavia Coelho : L’album a été directement influencé par ces événements. Quand il est arrivé au pouvoir, pour moi ça été un deuil, j’étais comme morte. Ça a touché mon entourage et mes amis au Brésil. Cela a stoppé le pays qui était en train d’évoluer, de devenir le phare du métissage alors qu’aujourd’hui on se divise de plus en plus. En Europe on a pris conscience de ce que vit le pays. Les gens découvrent un Brésil que je connais depuis toujours où il y a du racisme envers les noirs, de l’homophobie, un sujet que j’évoque dans la chanson “Nosso Amor”. Si je n’avais pas parlé de tout ça, je m’en serai voulu. C’est une manière de m’adresser à mon pays et d’évoquer ce qui ne va pas.
Votre sourire sur la pochette de l’album, c’est une manière de positiver ?
Flavia Coelho : Cette photo très solaire de Youri Lenquette (connu notamment pour avoir fait le portrait de Kurt Cobain peu avant sa disparition) est une manière de dire “je ne suis pas bien, mais ça va aller, on va s’en sortir”. La petite Greta Thunberg, elle ne sourit pas, mais elle a donné beaucoup d’espoir à des adolescents sensibles au réchauffement climatique et elle fait peur aux grands. Il n’y a qu’avec l’espoir qu’on peut changer les choses. On a besoin de se retrouver, besoin d’empathie dans ce monde de violence. Plus on partage, plus c’est beau.
Album “DNA” - Le Label Pias. Concert 29 octobre – la Cigale, 120 Bd Rochechouart, 75018 Paris. Tournée en France à partir du 14 novembre.
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