Avec "Racailles", Kery James défie la classe politique française. Déjà un incontournable (20/07/2016)
"Lequel d'entre vous peut jeter la pierre à Cahuzac ? Racailles ! Claude Guéant, Racailles ! Balkany, Racailles ! Jean-François Copé, Racailles !" Dans son nouveau titre, "Racailles", de l'album "Mouhammad Alix" qui sortira au mois de septembre, le rappeur Kery James s'en prend directement aux politiques français, et signe l'hymne d'une banlieue insoumise éloignée des élites représentatives.
Édité par Julia Mourri Nouvel Obs
"Racailles" marque un tournant dans la carrière du rappeur français Kery James. Ce titre est le troisième extrait de l’album "Mouhammad Alix", qui sortira le 30 septembre chez le label indépendant Musicast sans l’appui, promet-il, d’une radio commerciale comme Skyrock pour le promouvoir.
L’ex-leader du groupe Idéal J et ex-membre du collectif la Mafia Kainfry réalise un classique du genre, tel "Hardcore" en 1998, l’hymne d’une banlieue française insoumise dont le fossé se creuse davantage entre elle et ses élites représentatives.
Soigneusement réalisé par Leïla Sy pour Suther Ker Films, le clip rencontre déjà un succès populaire et critique porté par un public conquis à l’idée de retrouver l’un des derniers "rescapés" du rap militant (soit près d’1,8 millions de vues en quatre jours sur YouTube).
Double discours des élites politiques françaises
Kery James propose de nettoyer "au Kärcher" la classe politique dirigeante, telle la promesse (non tenue) par Nicolas Sarkozy en 2005 lors de sa visite à Argenteuil, de "nettoyer au Kärcher la cité".
Les partis politiques, ces "formidables machines à trahir" selon Arnaud Montebourg lui-même, sont devenus obsolètes et le rappeur croit à un soulèvement citoyen. L’abstention est selon lui le signe révélateur d’un désamour du peuple pour ses élites, accusées d’être "les meilleures amies" de la finance. Son discours anti-système renvoie dos à dos le Parti socialiste et les Républicains à leurs responsabilités respectives devant leur devoir d’exemplarité :
"Lequel d'entre vous peut jeter la pierre à Cahuzac ?
Racailles !
Claude Guéant, Racailles ! Balkany, Racailles ! Jean-François Copé, Racailles !
Philippe Herman, Racailles ! Harlem Désir, Racailles ! Alain Juppé, Racailles !
Tous ceux que j'ai cités ont été condamnés
Ce sont les mecs de cités qu'ils traitent comme des damnés."
En matière de justice, il est tout de même curieux de constater que les emplois dans la fonction publique ne sont accessibles qu'aux postulants possédant un casier judiciaire vierge, alors qu’un politique plusieurs fois condamné peut en toute légalité cumuler plusieurs mandats électoraux. Le titre "Racailles" nous rappelle que la République porte encore les stigmates de ses contradictions en termes d’égalité entre ses citoyens.
Le nivellement par le bas du rap français
Ce qu’on peut apporter au crédit des mouvements spontanés et citoyens comme celui de Nuit debout est l’engagement sociopolitique des jeunes. Les médias de masse diffusent une nouvelle génération de rappeurs français qui ont déserté le débat social et cédé aux sirènes du marketing.
Aux États-Unis, le constat est le même, mais la France possède depuis les années 1990 une tradition d’auteurs, de poètes, de "lyricistes" dans le rap. Même les talents d’écriture de PNL, SCH ou Damso ne franchissent pas l’entrée de l’arène politique. Et c’est uniquement un rap apolitique et acculturé qu’on diffuse sur les ondes nationales. Ainsi, Kery James dit :
"J'sors en indé
Tu m'verras plus jamais
Mettre les pieds à Skyrock
Ils n'aiment pas c'que je suis, c'que je défends, c'que je porte
C'est réciproque
Ils ont travesti le R-A-P
Je fais partie des rescapés
Ils ont encensé la médiocrité
Ils ont fait du Hip-hop de la variété
Ils ont joué les clashs pour nous diviser
Tant que ça fait de l'audience, on peut s'allumer."
Kery James et le rêve républicain
"On n'est pas condamné à l’échec" écrivait Kery James dont son titre "Banlieusards", un autre grand classique du rap français. Et son rêve est devenu réalité grâce à sa tournée solidaire ACES, dont l’objectif consistait à financer des bourses d’études d’un montant de 6.000 euros par étudiant.
Permettre l’accès aux universités à des jeunes bacheliers issus des quartiers populaires fait du rappeur, qu’il le veuille ou non, "l’un des produits les plus méritants de la République". Les études supérieures font partie du rêve républicain par excellence avec lequel son discours anti-oligarchique n’entre pas en résonance.
De plus, faut-il rappeler que les électeurs ne choisissent pas toujours un candidat en fonction de sa moralité, mais bien pour son habileté politique ?C’est la raison pour laquelle Alain Juppé caracole en tête des sondages des primaires des Républicains. Et s’il se trouve en face de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2017, les français l’éliront "probablement" quel que soit son passé judiciaire. Le scénario sera le même pour Nicolas Sarkozy et le peuple aura "les élites qu’il mérite".
Le rappeur signe bien avec "Racailles", une œuvre incontournable pour toute personne s’intéressant à la culture hip hop, en particulier au rap français dans sa dimension culturelle la plus contestataire.
14:38 | Tags : kerry james, racaille | Lien permanent | Commentaires (0)