TOUT FOUT LE CAMP ! (21/06/2016)

Nouvel album d'Agnès Bihl. Atmosphère étrange de vieux cabaret berlinois, des perles de chansons du début du siècle dernier aux arrangements modernes et épurés - Entrez dans l'imagerie divinement décadente d'Agnès Bihl !!

Tout fout l’camp est un opus à part entière. Sixième album de l’artiste, il est singulièrement différent des précédentes créations ; un cabaret « électro-rétro » en guise de spectacle visuel et auditif.
Un univers à lui tout seul, cet album pourrait parfaitement s’inscrire dans un monde cinématographique et gothique

Lorsqu'on voit apparaître sur scène Agnès Bihl, vêtue d’une redingote et d’un chapeau haut de forme, il se dégage aussitôt une atmosphère étrange de vieux cabaret berlinois et l'on plonge épidermiquement dans l'esthétique décalée des toiles d'Otto Dix, Klimt ou Egon Shiele… voyage au centre de l'éther, au gré des genres et des époques.

Voici donc un nouveau spectacle et un nouvel album intitulé TOUT FOUT L’CAMP qui amènent pour la première fois Agnès Bihl à chanter un autre répertoire que le sien, puisqu’avec ce Cabaret, elle est allée dénicher des perles de chansons du début du siècle dernier. Quelques classiques du genre bien sûr (Du grisLes nuits d’une demoiselleMon amant de Saint Jean...) mais surtout de magnifiques trouvailles (Les 5 étagesOhé les copainsMoi je m’ennuie…). On y croise Fréhel, Bruant, Gilles ou Yvette Guilbert, et pourtant ces chansons pourraient être écrites aujourd'hui tant elles sont d'actualité. Agnès Bihl s'en pare comme d'une belle étole tellement elles lui collent à la peau, avec leur émotion brute, leur révolte, leur féminisme avant l’heure.

Modernes et épurés, les arrangements permettent d'emprunter à toute une imagerie divinement décadente, sans jamais basculer dans le passéisme -- mise en scène de Yanowski oblige, ici règne l'Insolite, loin, très loin des clichés. Le timbre bluesy d'Agnès Bihl est à la parfaite charnière entre le piano bastringue et le beat martelant, voix sensuelle, cynique et toujours sans concession.

Ancré dans l'expressionnisme, l'univers de ce cabaret est aussi sublimé par l’apport artistique de Yanowski, l'esthétique du verbe étant chez lui une deuxième nature. Du Cirque des mirages à diverses excursions vers le théâtre, il a su récolter les graines de l'élégance, du burlesque, et les ressème à présent dans le spectacle d'Agnès Bihl. Costumes swags, lumières tamisées et oniriques, musiciens interlopes et accessoires en tout genre donnent à cette création un air de Bob Fosse, un zeste de Victor Victoria et une pincée de Rita Hayworth.

Des textes vécus, des chansons, fortes, tour à tour drôles (Ah quel plaisir quand on vous aime comme çaLa môme catch catch), émouvantes (Où sont tous mes amantsMa p’tite chanson) ou engagées (Fille d'ouvrierDollar) dont la modernité est recolorisée par des arrangements résolument tournés vers les machines (boucles, moog, boites à rythme et autres bricolages électroniques dirigés par Frédéric Feugas et par Marylou Nézeys aux pianos sur scène et par Dorothée Daniel pour les enregistrements). Un univers qu’on retrouve donc aussi sur l’album qui a permis à Agnès Bihl d’aller vers des directions musicales auxquelles elle ne s’était encore jamais essayée jusque là, comme si ces chansons du passé lui avait permis d’oser plus encore.

D’hier ou d’aujourd’hui, on a le sentiment avec TOUT FOUT L’CAMP d’y trouver surtout des chansons de crises : crise de nerfs, crise de foie, crise de larme, crise économique ou crise de rire, pour nous faire un peu sortir de la torpeur ambiante et rappeler que voilà maintenant plus d’un siècle que la chanson fait sa part dans la critique de nos dérives et de nos folies.

Une création à part donc, qui scelle la collaboration de deux grands artistes de scène pour un spectacle aussi élégant qu’ambitieux et un album osé et surprenant.

 

13:01 | Tags : agnès bihl; tout fout le camp | Lien permanent | Commentaires (0)