COMME DES LIONS, FILM ! (20/02/2016)
« Comme des lions », un film documentaire racontant le combat des salariés de PSA
Pendant deux ans, des salariés de PSA Aulnay se sont opposé à la fermeture de leur usine. Bien sur, ils n'ont pas empêché la fermeture. Mais ils ont mis à jours les mensonges de la direction, les faux prétextes, les promesses sans garanties, les raisons de la faiblesse de l'état.
Ils se sont même découverts décideurs. Ils ont ouvert une brèche dans le mur du désespoir.
Et ça, donne un film tonique, lucide sans être morose, combatif.
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Entretien réalisé par l'Est Républicain de la réalisatrice, Françoise Davisse
Est Républicain : Quel a été le point de départ de ce documentaire ?
Françoise Davisse : J’habite en Seine-Saint-Denis, pas très loin de l’usine. Juste avant les élections présidentielles de 2012, je trouvais qu’il y avait, en France, un climat général de morosité, de désespoir. Pourtant, à Aulnay-sous-Bois, des salariés avaient décidé de se bagarrer pour sauver leurs emplois. J’ai eu envie de filmer leur combat au plus près, leur stratégie, leurs dialogues, leurs réactions, de faire d’une certaine manière un film d’action avec des gens atypiques, et non un film militant au sens syndical du terme.
Aviez-vous pour objectif de montrer la dureté, la violence du monde du travail, de l’économie ?
Cette violence, je ne la connaissais pas. Je l’ai découverte à Aulnay. Elle se manifestait par les mensonges de la direction, par sa volonté d’étouffer toute velléité de réaction de la part des salariés en mettant en place une stratégie très élaborée, à un niveau que je n’imaginais pas.
À quels « mensonges » faites-vous référence ?
À ceux de Philippe Varin, l’ancien président du directoire. Dès l’annonce de la fermeture d’Aulnay, il a affirmé que le dialogue social serait exemplaire, qu’il y aurait une solution pour chacun des 3.000 salariés dont le poste allait être supprimé, que le site (N.D.L.R. : 180 hectares entre Roissy et Paris) serait réindustrialisé avec la création rapide de 600 emplois et de 1.500 à terme. Or ces promesses n’ont pas été tenues : la moitié des salariés est toujours dans une phase de reclassement, pour ne pas dire à Pôle Emploi. Ils ont parfois suivi des formations, mais des formations un peu bidon, qui n’ont débouché sur rien de concret. Le site, aujourd’hui, ne compte pas plus de dix nouveaux emplois.
Les belles paroles, les promesses n’ont-elles pas été aussi du côté de l’État ?
On se souvient tous des propos de François Hollande affirmant que le plan de fermeture d’Aulnay n’était « pas acceptable en l’état ». Au final, il a validé le plan initial. C’est très choquant. Les politiques ont montré toute leur impuissance : le mensonge était aussi du côté de l’État et du gouvernement.
Pouvez-vous détailler cette « stratégie très élaborée » de la direction que vous venez d’évoquer ?
Quand les salariés ont commencé à se ranger aux côtés des grévistes, il y a eu très vite, de la part de la direction, des accusations de violence, de dérapage. Or j’étais sur place, je voyais très bien que c’était faux. Chaque fois qu’il y avait un CCE, un moment important, la direction diffusait un communiqué repris aussitôt par l’ensemble des médias. Je me souviens en particulier d’un épisode, celui du rachat d’actions par les actionnaires. Pour détourner l’attention de ce sujet, la direction a diffusé un communiqué, une fausse information, en expliquant que la grève d’une partie des salariés empêchait la reprise du travail et donc qu’elle envisageait d’anticiper la fermeture de l’usine, ce qui n’était pas légalement possible. Le service communication de PSA, qui s’est adjoint les services de communicants extérieurs pendant toute la durée du conflit d’Aulnay, est une machine de guerre qui veut tout maîtriser, tout prévoir, ne rien laisser au hasard.
Au final, les grévistes n’ont pas empêché la fermeture d’Aulnay…
Oui, mais l’essentiel n’est peut-être pas là. Ils ont certes perdu leur combat, mais ils ont gagné en dignité, en fierté, en estime de soi. Ils ont montré que ça valait le coup d’essayer, qu’ils existaient et étaient capables de penser par eux-mêmes, et de manière collective, d’argumenter solidement face à la direction alors que, jusque-là, il n’en avait sans doute pas conscience.
Le dialogue social, alors prôné et vanté par PSA, n’était qu’un leurre ?
Il n’a pas eu lieu. La direction a présenté le plan de fermeture d’Aulnay, qui répondait à une logique financière et non industrielle, sans possibilité de discussion. Chez beaucoup de non grévistes, il y avait la certitude que cela ne servait à rien de se battre, que les dés étaient jetés dès le départ. Il y avait aussi cette idée – que l’on retrouve dans beaucoup d’entreprises et pas seulement chez PSA – que la direction, les cadres savent forcément ce qu’il y a de mieux pour l’entreprise, que leur façon de voir, de poser le débat, est la meilleure.
Vous voulez dire que le système est tel qu’il entretient chez les salariés un sentiment d’infériorité, de faiblesse ?
On peut le dire comme ça. Mais ce sont les rapports au travail très hiérarchisés qui expliquent ce sentiment et aussi le manque de culture collective dans la société d’aujourd’hui marquée par l’individualisme. Le conflit d’Aulnay a montré que les salariés, même lorsqu’ils sont non qualifiés, sont capables d’avoir un point de vue et de le défendre, de devenir des experts. Certes, la victoire n’a pas été au rendez-vous, mais ils n’ont pas subi la situation, ils ont été acteurs. Les grévistes se sont sentis portés par le collectif. C’est ce que disait Philippe Julien, secrétaire de la CGT à Aulnay : « Il y a plus d’intelligence à deux cents qu’avec une seule personne, c’est mathématique ». Je crois que, sur ce point, mon film est assez optimiste. J’espère qu’il va (re) donner goût aux salariés, quelle que soit leur entreprise, à l’action collective. Il faut faire l’expérience des luttes pour se rendre compte de sa propre force, de sa propre valeur.
Recueilli par Alexandre BOLLENGIER
19:56 | Tags : comme des lions, film, françoise davisse | Lien permanent | Commentaires (0)